Julien Caron
Le chef de chœur
Alors que Julien Caron allait bientôt voir le jour à Clermont-Ferrand, le festival de La Chaise-Dieu soufflait déjà ses 20 bougies. Trente ans plus tard, l’homme, à la tête de l’un des plus beaux festivals de musique de France depuis 2012, s’apprête à en fêter le cinquantième anniversaire (2016 ndlr).
Par Jérôme Kornprobst
Portrait paru dans le Journal du Parc n°30, été 2016.
Entre conférence de presse au Sénat, détails de la billetterie à régler et assemblée générale de l’association à préparer, l’emploi du temps est chargé, le débit… prestissimo ! Ce demi-siècle, Julien Caron le veut à la fois résumant l’histoire du festival tout en le projetant dans une autre dimension. « Le festival, ce sont trois choses : une tradition patrimoniale, historique et musicale, une authenticité — ce n’est pas un festival urbain, ici le public voit une cathédrale au milieu des forêts —, et une grande ouverture esthétique sur les musiques sacrées du monde ou la musique contemporaine. Nous travaillons pour maintenir et développer l’ancrage du festival parmi les grands événements musicaux français et européens.»
Tout cela bien sûr sans renier les racines de la manifestation. Dans cet esprit, le 18 août pour le concert d’ouverture, la reprise exacte du programme du 25 septembre 1966 (Grand concert symphonique de Cziffra) sera donnée en l’Abbatiale Saint-Robert. Mais Julien Caron voit loin et prépare déjà les cinquante prochaines années. « Dès le deuxième concert, nous allons pouvoir nous lancer dans de nouvelles aventures avec une œuvre commandée à Philippe Hersant pour une adaptation des Vêpres à la Vierge Marie qu’il a écrit en 2013 pour les 850 ans de Notre-Dame de Paris ». La patte du bouillonnant Julien Caron est bien là : inventer sans se renier, pour dix jours de festival qui promettent d’inviter les spectateurs à feuilleter en musique le livre d’or de l’événement. « Un anniversaire en famille car trois ensembles parmi nos compagnons de route fêteront eux aussi un événement marquant : La Grande écurie & la Chambre du Roy dirigée par Jean-Claude Malgoire, pionnier du renouveau de la musique ancienne en France, fêtera aussi son 50e anniversaire ; l’Ensemble Akadêmia, qui a beaucoup contribué au renouveau de la musique baroque célèbrera ses 30 ans ; enfin, l’ensemble Pygmalion et son chef Raphaël Pichon, l’un des plus en vue de la scène baroque française, soufflera ses 10 bougies. » Ajoutez à cela des œuvres classiques jamais jouées à ce jour à La Chaise-Dieu comme le Psaume 47 de Florent Schmitt, de grands solistes comme Renaud Capuçon ou les sœurs Labèque, des sérénades ouvertes à tous (sessions gratuites de 20 minutes de musique), une ouverture vers le jeune public et de nouveaux lieux comme l’église Saint-André de Lavaudieu, et vous comprendrez que cette 50e édition du Festival de La Chaise-Dieu est résolument placée sous le signe de la modernité.
De bénévole à directeur
Nommé directeur du festival alors qu’il n’avait que 26 ans après avoir œuvré comme bénévole au sein de l’association pendant cinq ans — « j’avais été recruté comme stagiaire par mon prédécesseur Jean-Michel Mathé pour développer le sur-titrage pour les œuvres vocales étrangères » — , Julien Caron admet volontiers que « la tâche n’était pas aisée pour être à la hauteur de l’enjeu. » Mais le parcours du garçon parle de lui même : piano à 6 ans, classe préparatoire littéraire à Henri IV où il étudie l’anglais, l’allemand, le latin et le grec avant d’intégrer Science-Po et, de concert, le Conservatoire de Paris. « Là, j’ai étudié, non pas l’instrument mais les matières théoriques : histoire de la musique, philosophie de la musique, analyse musicale. Cela m’a permis d’essayer de brasser et de connaître le plus d’univers musicaux possibles. »
À la clé, trois prix au Conservatoire, un Master Affaires publiques et la découverte de l’orgue, instrument pour lequel il voue une véritable passion. « L’orgue, c’est un peu de magie et de spiritualité. »
Il l’avoue sans ambages: « C’est en voyant Jean-Michel Mathé œuvrer au festival, à tous les métiers, que j’ai réalisé que cela me passionnerait. Alors quand il a annoncé son départ, je me suis présenté. » Depuis, le patron du Festival a instauré des thématiques à l’intérieur de la programmation : un compositeur, une époque… « Contrairement à d’autres festivals, j’ai une double casquette : direction et programmation. Je reçois les offres, vais écouter les artistes, suis en contact avec les agents. Et en même temps, j’ai la charge administrative et financière de l’association, qui compte 7 personnes qui m’aident au quotidien. » Un vrai rôle de chef d’entreprise, au service d’une manifestation qui entretient la notoriété d’un lieu, d’un département, d’une région tout entière. « Je joue un rôle de chef d’orchestre et d’ambassadeur du territoire, auquel je tiens beaucoup. » Avec un public composé à 34% d’Auvergnats, 23% de Rhône-alpins, 15% de Franciliens et 3% d’étrangers, on mesure l’ampleur du rayonnement de l’abbaye casadéenne. « Nous sommes aujourd’hui parmi les 10 premiers festivals français et un festival qui compte en Europe ».
À l’échelle du territoire du Parc Livradois-Forez, l’événement contribue aussi à une forte sensibilisation à la musique et à l’art en général. « Des actions pédagogiques sont menées avec les collégiens et les lycéens, nous développons des liens avec les écoles de musiques. Le but, c’est que dans son cursus, un élève de Haute-Loire ait eu au moins un contact privilégié avec l’événement. » En marge du festival, ce passionné d’art qui aime croiser peinture, musique et poésie — « la vie vaut davantage d’être vécue quand on a la chance de pouvoir partager le secret d’un livre ou ses impressions sur un concert. L’art magnifie le quotidien » — trouve le temps de réfléchir à de nouveaux projets. « Certains compositeurs comme Olivier Messiaen ont écrit des œuvres en s’inspirant de chants d’oiseaux. J’aimerais pouvoir lier un jour l’audition de certains chants du catalogue de Messiaen à des visites en forêt… Je souhaite aussi créer des randonnées musicales qui permettraient de mettre en musique des lieux patrimoniaux plus modestes du Livradois-Forez. »
D’ici là, le festival aura soufflé cinquante bougies et sera prêt à faire rayonner la dimension spirituelle de la musique sacrée et symphonique pour les cinquante prochaines années.
Julien Caron Directeur général et artistique du Festival de La Chaise-Dieu Né le 12 septembre 1986 à Clermont-Ferrand
Votre compositeur favori ? J’aime beaucoup la musique de tradition germanique : Bach, Mendelssohn, Brahms, Schumann. Mais aussi la musique française du Grand siècle : Lully, Rameau ou la musique sacrée du XXe avec Fauré ou Messiaen. Une musique qui me touche particulièrement et un univers très présent dans notre univers d’école française musicale.
Pourquoi l’orgue ? Un monde fait de lieux, de personnalités, de traditions. L’orgue est un orchestre à soi seul. Même si l’on n’est pas croyant, l’orgue est un instrument un peu mystérieux, intermédiaire entre une ferveur humaine et quelque chose d’autre. Avec un peu de magie, de spiritualité. L’orgue, c’est du vent, un souffle.
Une œuvre ? Les scènes d’enfants pour piano, de Schumann. De véritables bijoux pour les enfants qui sommeillent en nous.