Pierre Fedou
Les étoiles et le pied à coulisse
On file à Champagnac-le-Vieux ayant en tête cette vieille rengaine : « Le silence éternel des espaces infinis m’effraie. » On rencontre Pierre Fedou, ingénieur de recherche au CNRS. Il est homme à dissiper l’effroi pascalien en évoquant, beau paradoxe, ce trou noir où disparaissent les étoiles.
Portrait rédigé par Michel C.Thomas
paru dans le Journal du Parc n°27 – été 2014
Sur un rehaut, dit La Piroche, au sud du village, un rectangle grillagé. Dans le rectangle : une géode qui, malgré sa couleur terre brûlée, semble un peu exotique dans le paysage, et, à côté, un local technique, style abri de jardin. Vue imprenable, panorama à 360°, nous sommes à l’observatoire astronomique de Champagnac-le-Vieux.
Son implantation ici est affaire de gratitude, de solides amitiés et de rencontres de hasard. Michel Mignot†, le maire de la commune, raconte l’histoire. « Dans les années 80, Maurice Grinberg, fondateur des laboratoires qui portent son nom, a acheté une maison à Brioude. Pendant la guerre, des habitants avaient sauvé de la déportation Lucy Abraham [1] qui deviendra son épouse. » Voilà pour la gratitude. « J’ai noué très vite des relations amicales avec cet homme qui aime contempler le ciel et les étoiles, poursuit le maire. Un jour, il me fait part de son souhait d’acheter un terrain pour y installer un télescope. Le site de La Piroche était parfaitement approprié. La commune s’est occupée de la viabilisation (assainissement, téléphone, électricité), Jean-Claude Coste, homme de confiance de Boris Grinberg, a assuré la maîtrise d’œuvre et la coupole a été installée à l’automne 2012. »
Pierre Fedou entre alors en scène. Il pourrait venir de loin, de Paris, d’Argelès-sur-Mer ou bien du Chili, comme on verra plus tard, mais il arrive tout simplement de Berbezit qui est à dix minutes à moto. « J’ai l’habitude d’aller prendre un café au bistrot de Berbezit. Un jour, le patron me montre un article dans le journal à propos de l’observatoire de Champagnac. Je suis immédiatement allé proposer mes services au maire et à Boris Grinberg qui est, comme j’aime à le dire, un bienfaiteur des arts et des sciences. »
Pilotable à distance
Entrons dans la coupole. Le télescope occupe presque tout l’espace. « C’est simplement un instrument qui permet de capter la lumière qui vient de l’étoile grâce à deux miroirs fixés à chaque extrémité du cylindre. Pour observer, il faut d’abord ouvrir le cimier, la « fenêtre » de la coupole, puis on tourne le télescope dans le sens souhaité, selon deux angles, alpha pour le mouvement vertical, de 0 à 90°, et delta pour le mouvement horizontal accompagné par la coupole qui, montée sur un rail, peut effectuer une rotation complète. » Pierre Fedou flatte le télescope de la main : « Celui-ci est un 400 mm, c’est le diamètre du miroir primaire. À l’avenir, nous aurons un 1 000 mm et un second 400 mm. » L’instrument sert bien sûr à l’observation à l’œil nu mais il peut aussi, et avantageusement, être connecté à une caméra, à un ordinateur, moyennant quoi, liaison internet aidant, il devient pilotable à distance.
Pilotable depuis Paris, par exemple, où Pierre Fedou est ingénieur de recherche au CNRS, exerce son activité au sein de l’Observatoire de Paris, au LESIA (Laboratoire d’études spatiales et d’instrumentation en astrophysique). Il dit que son métier est de construire des outils au service de l’astrophysique, celle-ci consistant à mettre en chiffres les observations de l’astronomie. Il a le sens de l’image : « C’est comme si je fabriquais un pied à coulisse pour mesurer un diamètre. Mais en l’occurrence il s’agit d’élaborer une méthode pour évaluer la taille, la température, la distance, la vitesse et l’âge d’une étoile. » Au final, le « pied à coulisse » est un ensemble d’électronique, d’informatique, d’ordinateur, de logiciel et d’optique qui occupe une pièce de 40 m2. Pour les besoins de son métier, l’ingénieur navigue de La Serena au Chili à la Grande Île d’Hawaii où se trouvent les deux plus grands télescopes du monde.
Mobylette en panne
Actuellement, il est directeur technique France du projet européen Gravity. « L’objectif de Gravity est de sonder le trou noir qui est au centre de notre galaxie et dont la masse est estimée à 6 millions de fois la masse du soleil. Il est situé à 32 000 années-lumière d’ici, du Livradois-Forez ou du Chili, ça ne fait guère de différence. Comme il est très loin, on le connaît mal. » Il faut une dizaine d’années pour concevoir les instruments nécessaires aux observations qui commenceront en 2015. « Nous pourrons alors suivre la trajectoire des étoiles qui sont happées par ce trou noir que nous appelons Sagittarus A* ou, plus familièrement, SgrA*. En tombant dans le trou, les étoiles sont écrasées par la gravitation, elles implosent, rendent de l’énergie et émettent une lumière intense. » Ingénument, on demande quelle peut bien être la contribution de l’observatoire de Champagnac… « Il pourra servir à préparer les observations qui seront faites au Chili. Vous savez, en ce domaine, on commence à la lampe de poche. »
Pierre Fedou est né en 1955, le même jour qu’Alain Prost et deux mois avant la mort d’Albert Einstein. Enfance et adolescence à Argelès-sur-Mer, Pyrénées-Orientales. Élève à peine moyen, genre « au fond de la classe », sauf à la fin où il revient aux premières places. À la deuxième tentative, il décroche le bac avec mention très bien. Il monte à Paris, enchaîne avec une maîtrise de physique théorique et un DEA de physique des particules. Il travaille et, en même temps, suit des cours du soir pour préparer un diplôme d’ingénieur. Il l’a à peine obtenu qu’il tombe sur une annonce dans Le Monde : « L’Observatoire de Paris cherche un ingénieur… » Il est recruté en 1990 et, depuis cette date, file le parfait bonheur professionnel. « J’aime les mathématiques – mon père m’a toujours conseillé d’en faire – mais c’est seulement avec la physique qu’on accède au concret. Je dis souvent que si j’ai réussi dans ce métier c’est parce que ma Mobylette tombait en panne, quand j’étais gamin, et j’essayais de comprendre son fonctionnement pour la réparer. »
Au revoir là-haut
Aujourd’hui, il circule plus volontiers à moto, une allemande de forte cylindrée. « En descendant de Paris vers le sud, je prenais l’autoroute et, un jour, j’ai bifurqué à hauteur d’Issoire, j’ai pris des chemins détournés, Arlanc, La Chaise-Dieu, Craponne… La beauté du pays m’est restée en mémoire. » Le hasard lui refait le coup de la petite annonce, en 2011, sur Le Bon Coin, maison à vendre à Berbezit. « Une belle endormie aux volets clos sur son lit de verdure, au milieu de nulle part. » Il achète la maison qu’il considère désormais comme sa résidence principale et pour ses escapades professionnelles il va prendre l’avion à Lyon Saint-Exupéry, « c’est mieux que Roissy CDG ». Coïncidence en supplément, à Berbezit vit un certain Jean-Pierre Farcy, astronome amateur, qui se retrouve enrôlé dans l’équipe de Champagnac.
Quand il n’est pas occupé à fabriquer des pieds à coulisse ou à circuler à moto, l’ingénieur aime lire [2]. Il cite Paul Auster, Annie Ernaux, Simone de Beauvoir, Olivier Adam, Thomas Bernhard, Camille Laurens et d’autres. Il recommande le roman de Pierre Lemaître, Au revoir là-haut, et les poèmes du Suédois Tomas Tranströmer.
Attablés devant le plan d’eau de Champagnac-le-Vieux, c’est fou le plaisir que l’on prend à écouter un homme au rire sonore parler du silence éternel des espaces infinis et du Ciel à moitié achevé (titre d’un recueil de Tranströmer). Même un trou noir gros comme six millions de soleils ne saurait nous effrayer.
[1] – Lucy Abraham leur a rendu hommage dans un ouvrage intitulé Une Auvergnate israélite à Brioude, édité par l’association Dauphin, Paris, 2005.
[2] – Il vient de fonder les éditions « La Truffe au vent pour la diffusion du savoir scientifique ».